[attention, post un peu long !]
Marc Thiercelin a abandonné et c'est une triste nouvelle. Mais ce n'est pas vraiment une surprise.
Au sein de la communauté de la course au large, Thiercelin est un atypique. Déjà, il n'est pas de l'école de Port-la-Forêt. Il a vécu ailleurs que dans le milieu de la voile, c'est un artiste (il a travaillé, entre autres, pour Kenzo), il est photogénique (il a posé pour une grande marque de parfum et il est l'ambassadeur pour une marque de cosmétiques) et fréquente les "pipoles" (Emmanuelle Béart et Charles Berling sont de grands amis, il les a même fait naviguer sur quelques étapes du Tour de France à la voile).
Bref, un peu comme Jeantot, il n'est pas du sérail. A cette différence près que le bonhomme est venu se frotter aux apparatchiks du Figaro jusque dans leur pré carré et y a remporté plusieurs étapes (4e au général en 1993, 5e en 1994). Jean-Yves Chauve, médecin du Vendée Globe et de la Solitaire du Figaro, me raconta un jour comment les concurrents se déchaînèrent à la radio quand, lors de l'édition 2003, Thiercelin passa la pointe des Poulains à Belle-Ile en tête de la flotte qui se rendait en Espagne, avec plus d'une heure d'avance. Peu entraîné, de retour sur la Solitaire après plusieurs années d'absence, la performance de Thiercelin (finalement 3e de l'étape) en avait agacé plus d'un...
Thiercelin est aussi le chouchou des médias. Au départ de ce Vendée Globe, il n'y en avait que pour lui ! Mais le skipper de Pro-Form, qui avait dit, à l'arrivée du dernier Vendée Globe qu'on ne l'y reprendrait pas, avait beaucoup ramé pour réunir les fonds nécessaires à une troisième participation. Dans les jours qui précédaient le départ, on le sentait un peu émoussé, il faut bien le dire.
Dès le départ, Thiercelin a subi le rythme imposé par la tête de la flotte. Dans les premiers jours, il avoue qu'au portant dans la brise, son bateau "lui fait peur". Comme Dick, il a du mal à entrer dans la course. Puis il casse son bout-dehors, ruinant par la même ses espoirs de gagner la course.
Les galères et les avaries s'accumulent (problème de gréement, notamment) et, petit à petit, ses vacations et les communiqués de son équipe se font de plus en plus sybillins. Marc doute, Marc souffre. Il s'exprime peu en direct, mais on sent que ça gamberge. Quand tout le monde plonge au sud, lui reste prudemment au nord.
Un premier communiqué du 11 décembre allume la mèche : " (...) Cependant, Marc n’a jamais abandonné une épreuve, encore moins un tour du monde. Lors d’Around Alone 98-99, il avait démâté, fabriqué un grément de fortune, réparé (autorisé par les règlements de ce tour du monde avec escales) aux Malouines, avant de repartir et terminer deuxième. Le Vendée Globe ne lui permet pas cette possibilité. (...) "
Cinq jours plus tard : " (...) Dans un peu moins de trois jours il devrait franchir le premier point de passage obligé. Dans quatre jours il devrait doubler le Cap Leuwin " le milieu de ce Vendée Globe en gros " analyse Thiercelin dont les soucis ne se sont pas évanouis pour autant. Son bout dehors est irréparable. Il en a désormais la certitude. Mais son second problème, c'est son mât qui a bien souffert le 1er décembre quand il a fait cet " arrêt buffet " fatal au bout dehors : " c'était ça ou le mât. Le mât a fait un arc de deux mètres au moins mais il a tenu. Cependant, depuis il branle. Avec les vents à 45-50 nœuds que j'ai connu, le jeu a augmenté. Je me demande si dans 15 jours, dans un mois il ne va pas prendre encore plus d'ampleur. Je vais le surveiller de très près. " (...)"
Le 19 décembre, on en savait un peu plus : " (...) Il le serait encore plus, si l’avarie de son D3 tribord qui aide à la tenue latérale de son mât, ne lui donnait du souci. Marc pense que le dernier hauban entre la tête de mât et le dernièr étage de la barre de flèche est en train de se désolidariser. Il a mis deux drisses pour tenir le mât vers l’avant. Et pour couronner le tout, dimanche, la grand voile na pas voulu descendre : " Je me suis battu une heure avec elle. Elle n’a rien voulu savoir. Je ne peux pas faire plus dans l’immédiat. J’attends le lever du jour. " (...) "
Le lendemain, la perspective se précise : " (...) A terre, son équipe et ses sponsors s’en posent également. « N’est-il pas trop dangereux de s’élancer dans le Pacifique avec un bateau blessé ? » se demandent les responsables de ProForm, qui ne veulent pas faire prendre le moindre risque à leur skipper. Reste à savoir si Marc peut réparer seul en mer ? Ou s’il devra trouver un refuge à l’abri des caprices de la météo comme le fit Yves Parlier voilà quatre ans ? Ou plus désolant encore et définitif, si il devra avoir recours à une assistance extérieure qui le mettrait hors course ? Une éventualité à prendre en considération, mais que nul ne souhaite envisager à cette heure... (...) "
Un jour plus tard, le suspens est à son comble : " (...) Aujourd’hui et depuis trois semaines maintenant, Marc se pose toujours les mêmes questions. Va-t-il s’arrêter et tenter de réparer ? Le peut-il seulement ? Va-t-il avoir recours à une aide extérieure qui le mettrait immédiatement hors course ? Beaucoup de questions pour Marc qui avoue désormais « chercher des solutions. » (...) "
Le 27 décembre, à la vacation, il ne laisse guère d'espoirs : " (...) « Je n’ai pas envie de parler des avaries à bord, j’y pense trop et cà me gâche la vie. Pour l’instant, je cherche la solution la plus intelligente et la plus marine possible. Je ne sais pas trop ce que je vais trouver en haut, mais je sens les choses et j’ai des inquiétudes, je n’ai pas envie de prendre le mât sur la tête dans le Pacifique au risque de mettre ma vie et celles des autres en danger. Depuis le 1er décembre, j’ai beaucoup bricolé mais tout est fragilisé. Je me laisse l’espoir d’être encore dans la course après je verrais si je le peux ou pas. (...) "
Le lendemain, ça tombe bien, c'est le sponsor qui demande de se dérouter. A partir de là, c'est bâché : " "Il est impensable de laisser Marc et ProForm prendre le moindre risque de démâtage. C'est pourquoi nous lui avons demandé, en accord avec la région Poitou-Charentes et l’ESA, de se dérouter vers la Nouvelle-Zélande et de tenter de réparer s'il le peut." La position de Renaud Grout, Directeur Général de ProForm France est très claire. Il n'a pas hésité une seconde quant à la conduite à suivre, mettant la sécurité et l'homme, avant la compétition. (...)"
Le 29/12, un dernier communiqué finit de préparer le terrain : " (...) Moi, je sens que je suis arrivé au bout de la terre, si je ne veux pas tomber, il faut que je m’arrête. Je ne sais pas si je suis capable de tout réparer en autonomie, je n’ai pas le même profil que Parlier. J’admire énormément ce qu’il a fait il y a quatre ans, mais il ne faut pas faire de parallèles, chaque histoire est unique. Pour le moment, j’attends d’être au mouillage pour voir ce que je peux faire, mais rien que pour refaire un bout-dehors propre, il me faut 5 jours. Il faut contrôler tout le gréement et le remettre sous tension, il bouge beaucoup et je ne sais pas si le tube a pris un coup aussi avec tout cà.(...)"
Enfin, le 31/12 à 13.00, le communiqué fatal tombe : " (...) “Il y a trop à faire. Je n’ai pas, à bord, le matériel adéquat pour réparer tout ce qui est endommagé sur ProForm. Je suis obligé de demander de l’aide extérieure. “ Ce moment que redoutait tant Thiercelin, ces quelques mots synonymes d’abandon, Marc vient de les prononcer à regret. (...) "
En terme de com', c'est de la belle ouvrage. Et je ne dis pas ça pour me moquer, car ce n'était pas facile à mener. Pour info, c'est l'oeuvre de David Heuzé et Delphine Dusserre, deux jeunes communicants qui ont créé récemment leur agence...
[photo copyright Marc Thiercelin/Pro-Form]
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